A mon signal, amène le dessert!
Je ne sais plus par quel miracle j'avais réussi à faire ça.
J'ai rencontré cette fille à la sortie du cinéma de quartier où passait Va vis et deviens, ce film si bouleversant. Figée debout sur le trottoir elle sanglotait en silence et recueillait délicatement ses larmes du revers de son index, comme pour leur épargner une chute qui aurait ajouté à son chagrin. Je lui ai tendu un mouchoir, puis sur la pointe des pieds, je l'ai invitée à venir prendre un verre, discuter du film et de ses bouleversements. Elle a accepté, elle m'a dit « Oui je veux bien » en souriant. Un camion de pompiers est passé à toute allure en déchirant l'air du soir de ces sirènes hurlantes. Les types dans la cabine tiraient de ces tronches. Bon sang fallait espérer pour la victime qu'elle soit salement amochée, qu'ils n'y allaient pas pour rien, que ces types ne se déplaçaient pas pour les vertiges d'un chat moisi coincé sur le toit de la maison d'en face. De nouveau je lui ai proposé qu'on aille s'asseoir devant un verre. Et de nouveau elle a acquiescé «Et bien oui, allons-y alors ». Ce n'était donc pas une méprise, elle était vraiment d'accord.
Elle s'appelait Paula et était étudiante dans une école de cinéma où elle apprenait à écrire des scenarii. Les histoires elle connaissait, elle aimait beaucoup ça ; mais à bien y réfléchir m'expliquait-elle, on pouvait douter de la créativité même de son futur métier ; d'après elle la vie se chargeait d'écrire les plus fortes et les plus tragiques histoires humaines, ramenant tout bien considéré au rang de copiste, au mieux d'arrangeur, le travail du scénariste. J'ai dit oui. Oui c'est vrai. J'avais la bouche ouverte et j'avalais chacune de ses phrases comme autant de douceurs sucrées. Elle buvait une liqueur translucide dans un grand verre ballon où tanguait un glaçon. Je l'accompagnais de mes verres de vin rouge. Plusieurs fois elle s'était arrêtée de parler et m'avait souri ; sa bouche entrouverte sur le contraste de ses dents me donnait alors à envisager l'idéal d'un baiser. J'avais aussi perçu la finesse de ses oreilles derrière lesquelles, de temps à autre, elle ramenait d'un geste lent les boucles de ses cheveux noirs ; la douceur de ses mains jointes en prière aux longs doigts si fins ; la sensualité de ses yeux verts entrain de me fixer - devrait-je dire de me scotcher. Elle était extraordinairement belle, incroyable de vie. Je la voyais flotter en face moi sans subir de ce monde la moindre gravité. Il y a fort à parier qu'à cet instant précis j'avais l'air plus idiot que d'habitude.
Le patron a commencé à empiler les chaises de son bistrot et nous sommes sortis. Il était une heure du matin et nous marchions maintenant l'un à côté de l'autre. Elle m'a expliqué comme ça qu'elle devait se lever tôt demain matin, qu'elle prenait un train pour Lisbonne à huit heures qui la conduirait au festival européen du court-métrage.
-« Si je dors chez toi tu pourras me réveiller ? me demanda-t-elle. C'est important je ne peux pas me permettre de manquer ce rendez-vous. »
A présent Paula fume une cigarette assise sur mon lit. Je prépare le café en fredonnant, l'air de rien. Un nouveau jour se lève. Je ne sais toujours pas par quel miracle j'ai réussi à faire ça.
Pour les impromptus littéraires, la consigne : le texte devait débuter par "Je ne sais plus par quel miracle..." et évoquer un ou plusieurs moyen de transport.