Je dois vous faire un aveu, je ne m'étais encore jamais rendu à un quelconque salon du livre. Non, pas plus d'ailleurs que je n'en connaissais l'attrait. Un samedi plus extraordinaire que les autres, chose fut faite et me voilà candide accueilli par les superbes abords très bien entretenus du Palais de l'Europe de Le Touquet. Et maintenant, narrons.
A peine les portes passées je me suis trouvé devant un des premiers stands, celui d'un poète à chapeau orné de lanières en cuir. Passé le concept, le type était finalement assez sympa et son œuvre semblait honnête. Pas trop d'emphases, non plus de fumiers de chats qui s'étirent devant l'âtre à la chaleur des braises et rien sur Marjolaine et son rire de folle. Je discute un peu et le type me lit ceci et me conseille d'acheter cela. Il me promet une magnifique dédicace. J'hésite. Je finis d'être conquis quand il m'annonce clairon en bouche que certains de ses poèmes sont lus sur scène par Francis Lalanne en personne. D'une santé mentale fragile, j'hallucine un peu. Puis je me reprends et finis par me décider à lui acheter librement son recueil, non sans lui demander poliment de cesser de me tordre le bras, ça me gêne pour signer le chèque.
Je me remets doucement du choc culturel subit et continue à déambuler dans les allées. Un type au micro annonce l'arrivée imminente de Madame Simone Veil qui dédicacera son livre au stand Simone Veil du Renard de l'Ouest. Aparté - en fait c'est le Furet du Nord mais je n'aime pas trop la main mise publicitaire et qui plus est je préfère le renard au furet que personnellement je ne trouve pas très vendeur avec son air de fouine - fin de l'aparté. J'en prends malgré tout bonne note et m'avance maintenant cœur battant cœur serré vers le stand, j'ose à peine y croire, de Joseph Joffo. Mieuxa, il est seul attablé à son stand déserté. Une pitié. La deuxième star du salon après Me Simone et personne ne vient lui parler. Joseph Joffo, le type qui a écrit « Un sac de billes » ! Mon premier émoi littéraire juste après « Vipère au poing » et « Patricia à Düsseldorf » ! La vie est vraiment incroyable. J'étais sur un nuage. Toute mon enfance se rappelait à moi en culottes courtes et tartes dans la gueule. Je m'approchai en lui tendant une main frébile.
—« Bonjour Monsieur Joffo, permettez-moi de vous dire quelque chose, votre livre... »
—« ..mon livre vous a marqué à vie ? Mon livre a fait de vous ce que vous êtes ? Mon livre vous accompagne depuis vos dix ans ? Ou bien encore, voyons voir, mon livre vous a donné l'envie de lire ? D'écrire ? De vomir ? De partir ? »
—« Heu...oui et bien, c'est ça ; j'aime bien votre livre. »
—« C'est bien ! Mais ne vous vexez pas jeune homme hein, tout le monde aime mon livre vous savez. Depuis le temps vous imaginez bien que j'en ai raz la visière des louanges. Je ne supporte même plus de le vendre ce fumier de sa race de bouquin. Alors, passons à autre chose voulez vous ? Voyons, ça vous dirait une superbe dédicace sur mon nouveau livre qui se trouve être magnifique et bien au-delà de toutes espérances imaginaires ? Alors, c'est comment votre prénom ? »
—« Maximus monsieur. »
—« Alors je vais mettre...hmmm...ha voilà j'ai trouvé, ça va être magnifique attendez voir. « Pour Maxilus, ce livre fameux qui le rendra heureux. Signature. » Alors ? Elle est magnifique non ? »
—« Oui monsieur Joffo. »
—« Voilà, permettez-moi de vous presser un peu, ces personnes attendent derrière vous pour d'autres splendides dédicaces. Allez, au revoir Maxilus ! »
—« Mus. Au revoir Monsieur Joffo»
Après ça je suis reparti un peu hagard, le regard vide, tout étourdi de ma rencontre avec le maître, presque titubant au milieu des allées du poids des neuf livres que je venais de lui acheter, dont deux en double, tous avec une magnifique dédicace singulière.
Fichtre ! Je me suis dit. C'est donc tout cela un salon du livre ? Tout à la fois une rencontre humaine, littéraire et poétique, avec toute la philanthropie et l'amour de l'art que cela suppose, et un hymne aux dédicaces magnifiées du talent de leurs humbles auteurs ?
Je m'en fus là-dessus, perplexe et circonspect, les bras lourdement chargés mais le cœur apaisé, maintenant je savais.