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A mon signal, amène le dessert!

Sur ma peau - suite 1.

J’avais quitté Eva – ma première femme s’appelle Eva – défigurée par l’amertume, enivrée des serments violacés de la vengeance et voilà que trois ans après je la retrouve plus légère que jamais, le teint clair et dix ans de moins ? Et ce type avec elle, ce brun classieux et chevelu – un guitariste anglais ?-, quarante ans et mince, quel secret avait-il percé chez elle que j’avais été incapable de voir, pas même de supposer ? Les quatre dernières années de ma vie avec Eva n’avaient été que heurts et encoignures, plus un rouage qui ne soit grippé. Quelques fois quand nous nous rendions à une soirée chez des amis je demandais à Eva si elle pensait qu’’il était vraiment nécessaire de nous annoncer en sonnant tant nos casseroles étaient nombreuses et de belle taille. A l’époque ça ne faisait rire Eva que moyennement ; voire, elle grinçait, ce qui ajouté  au vacarme ambiant ne simplifiait pas vraiment  les choses.
De quel levier s’était-il servi celui-là pour la relever des trente sixièmes dessous ? Du fin fond de sa mauvaise mine ? Et sur quelle pierre l’avait-il fait grimper pour l’élever ainsi au dessus du lot ? Quand moi-même je n’avais fait qu’achopper durement, emporté plus d’une fois par le fond, désespérant de ne jamais parvenir à refaire surface ?
J’ai laissé tomber trois fois mon trousseau de clés avant de parvenir à ouvrir la porte d’entrée. La journée avait été morne et sans joie et j’allais passer une soirée sombre. J’ai balancé les bouquins de Brautigan sur la table en rentrant, désolé vieux pas ce soir j’ai la migraine. Je me suis servi une vodka et je suis sorti sur la terrasse. Assis sur les marches de pierre qui descendent au jardin j’ai allumé une clope que j’ai fumé le nez en l’air. Mais le ciel ne me disait rien, pas plus que les nuages incendiaires de cette fin de journée. Peut-être le vent du soir faisait-il bruisser quelques peupliers aux alentours, mais sans plus. Le jardin sous mes pieds était un champ de ruine miné par les taupes et ravagé par les ronces. Je fixais un rosier étouffé par le liseron en me disant qu’un peu d’attention suffirait à faire renaître quelque chose d’harmonieux de ce chaos végétal, mais là encore, pas ce soir, ça ne me disait rien. Ce soir c’est rien, rien du Tout, pas grand-chose en tous cas. J’ai rendu son salut à Marco, mon voisin, qui venait de rentrer de l’entrainement son œil droit bien amoché (un type marrant, un pompier d’une quarantaine d’années qui s’était remis à la boxe depuis que sa femme était partie avec leurs deux enfants vivre au Québec avec le gérant d’un vidéoclub de Montroyal). La vie ne nous épargne rien, et surtout pas les coups bas, le mieux est de nous habituer à vivre en portant une coquille non ? Il me répète ça presqu’à chaque fois que nous nous voyons autour d’un verre, gestes à l’appui, en m’expliquant qu’il était facile de voir dans la boxe la métaphore de la vie, proche de l’os et de la chair. J’aime bien Marco et ses directs et nous passons souvent de bons moments dans sa cuisine autour d’un verre, mais ce soir je décline poliment son invitation à partager un coup de blanc (il accompagne ses paroles d’un large sourire et du geste de l’uppercut pour le coup de blanc).

J’ai besoin de sortir et quitte à picoler autant se risquer au tarif de nuit, comme pour une séance de psy, les effets d’une cuite sont d’autant plus bénéfiques que le prix de la séance est élevé.

Je suis monté changer de chemise. Torse nu devant le miroir j’ai repensé à ce type avec Eva. Sûr que sur la question de la forme j’ai des années lumières de retard. Mais quoi, quand j’ai connue Eva tout ça n’avait strictement aucune importance. Je me souviens parfaitement l’entendre railler tous ces types engoncés dans leurs muscles gavés de protéines, à l’époque pour elle rien ne comptait plus que l’authenticité fut-elle maigre et hirsute, le fond plutôt que la forme disait-elle. Et là dessus aucun doute que j’ai été son homme. Alors quoi ? Alors rien. Juste quarante ans, le temps passe et on se  raccroche à la dernière utopie qu’il nous reste. La santé. La bonne bonne santé. Moi-même d’ailleurs. Quelques angines carabinées, des quintes de toux apocalyptiques aux petits matins sanguinolents, des étages qui deviennent des cols de première catégorie. A quoi je ressemble quand je clignote ? Est-ce que tu m’aimeras encore quand je ne banderai plus qu’une fois sur quatre ? Pas de mal à imaginer ce que ça doit être d’attendre chaque semaine que tu rentres du pressing baby.

J’ai laissé tomber mon reflet et fini par décider qu’en l’état actuel des choses une chemise noire m’irait bien au teint et me donnerait une occasion de circonstances de porter le deuil des amours mortes. J’ai dit Amen et je suis redescendu téléphoner à Jean qui n’allait pas me refuser un verre de nuit ou quoique ce soit d’autre du genre à dégeler les grandes steppes.

Peut-être avais-je toujours espéré qu’elle revienne. Trois ans après. Peut-être pouvait-elle ne se souvenir que de ce qui avait été extraordinaire entre nous. Je m’en souvenais bien moi. Doutait-elle que certains se damneraient pour un dixième de l’énergie qui se dégageait de nos étreintes d’alors ?
Jean n’était pas dispo, sa femme était sortie pour la soirée et l’avait laissé avec ses enfants, il s’excusait mais ça n’allait pas être possible vieux, j’aurais du le prévenir il se serait arrangé. Je n’ai pas insisté, je lui ai souhaité bonne soirée et me suis resservi une vodka que je suis retourné boire sur la terrasse. J’avais baisé une fois avec une autre qu’Eva il y a des années maintenant. Ce soir là le hasard avait voulu que je rentre en même temps qu’elle. Elle revenait de Paris où elle avait assisté à une conférence sur l‘éducation comme condition à l’humanité des hommes – tu devrais m’accompagner ça va te plaire j’en suis certaine, non merci non, une autre fois peut-être mais je n’ai franchement pas le courage lui avais-je menti. Je l’avais rejointe devant la porte. Elle pensait me trouver à la maison et avait sonné, sans réponse de ma part, et pour cause. Elle était contente de me voir arriver pour enfin rentrer se reposer d’une journée épuisante. La voyant là qui m’attendait en me souriant sur le pas de la porte je me suis senti devenir poisseux et totalement transparent. J’imaginais qu’elle lisait en moi, j’étais sûr que de où elle était elle entendait mon cœur battre trop vite. Je me souviens avoir passé ma main plusieurs pour vérifier si ma braguette était fermée. J’ai tenté de lui parler naturellement – tu es déjà rentrée alors ? - mais d’entendre ma voix finissait de m’ôter le peu d’aplomb qui me restait. J’étais piteux avec des bras trop courts, un menteur vulgaire. Moi qui rêvais d’assumer pleinement ma bite et ses acrobaties, je venais de lâcher le trapèze. Le lendemain soir je la trouvais assise sur le canapé un verre de gin posé à côté de la bouteille sur la table devant elle. Calmement elle m’a prié de m’asseoir, et  tout aussi calmement elle m’a demandé ce que je faisais hier la veille au soir vers vingt trois heures au dix neuf de la rue Sainte Beuve. Avant que je ne nie elle avait tenu à préciser qu’une de ses collègues de travail particulièrement digne de foi m’avait formellement reconnu et connaissait très bien Mademoiselle Evans, la jeune fille qui vivait là – peu farouche avait-elle jugé bon de préciser par souci du détail. Tout avouer n’avait rien arrangé – Hiroshima mon Amour - mais sur l‘instant ça m’avait permis d’évacuer un peu de tension et d’exprimer mes regrets. Eternels.

 

A suivre...

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S
<br /> <br /> comme chris de neyr, mais en mettant la langue.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Ah oui quand même...(pas de doute, la virtualité à ses avantages...)<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> et merci à poupoune pour "Rachel"... bien vu!!<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> J'ai sorti vos textes sur papier (ben oui, à la lecture des premiers mots j'ai su que j'avais droit au cake...) parce que c'est comme ça, il y a des trucs qui doivent être lus sur le support qui<br /> leur sied le mieux, non...?? Alors Maximus, ou Markus, (peu importe, en vérité on s'en fout un peu...) j'ai été touché comme jamais. Quand vous mettez votre talent au service des sentiments, ça<br /> donne quelque chose de proprement renversant... moi qui suis  féru des écrivains qui disent tout sans avoir l'air d'y toucher, avec ce ton distancié (qui inclut l'humour évidemment mais pas<br /> que -on pourrait parler de certaines tournures de phrase, de certains effets de style qui en disent plus long sur vous que votre empreinte génétique...), on peut dire que vous vous posez là!<br /> <br /> <br /> Si j'osais, je dirais que l'essai est transformé. Votre mise à nu est bouleversante de sincérité non mielleuse, de créativité sans tape-à-l'oeil, de recul sans cynisme... c'est beau la naissance<br /> d'un écrivain (là, pour le coup, c'est moi qui deviens pompeux... hmm, on ne se refait pas hein, et puis "y a pas de honte à être vassal quand le seigneur est grand" comme dit l'autre.)<br /> <br /> <br /> De tout mon coeur je vous souhaite de débouler là-dedans comme un chien dans un jeu de quilles... (et on ne pourra pas dire que vous n'avez pas eu votre  Jean-Baptiste !)<br /> <br /> <br /> à jamais sincerely admirativement vôtre<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Il est clair que vous essayez de coucher avec moi.<br /> <br /> <br /> Et ne dites pas non s'il vous plaît.<br /> Mais vous allez être déçu (des pieds ?), je ne couche jamais avec mes lecteurs.<br /> <br /> <br /> (Ha ha, j'ai fait tout ce chemin pour pouvoir écrire ça un jour...je suis comblé, je peux maintenant me retirer...-Gilles si tu me lis, calme toi s'il te plaît...-  )<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> change rien !<br /> <br /> <br /> http://www.deezer.com/listen-3127285<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Rachel...Evidemment...Je l'avais un peu oubliée... Mais j'avoue être plus resté bloqué sur Solo boy que sur Solo girl (Long distance calling...L'histoire de Bernard...).<br /> <br /> <br /> (Et sinon alors c'est votre prénom Rachel ? C'est ça ? Vous étes née le 10 décembre et vous vous prénommez rachel ? Vous pouvez me le dire on est entre nous hein... Moi par exemple mon prénom<br /> c'est Jean-Patrick Capdevielle, voyez j'ai pas peur de le dire...)<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Han... c'est pas lui qu'était cocu !<br /> <br /> <br /> Vous parlez tellement bien des hommes et de leurs failles que parfois vous me faites l'effet d'être vraiment un homme avec des failles.<br /> <br /> <br /> Dingue.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
En fait oui, je vous l'avoue à vous, que ça reste entre nous, je suis un homme à failles...