Elle a pris ma main. Moi je ne voulais pas. D'ailleurs je ne voulais rien. Finir mon verre et rentrer. Elle a pris ma main et moi je n’ai pas osé lui dire non. Ça c'est passé comme ça, elle sortait de je ne sais où, elle est passée près de moi, j'ai posé mon verre, je me suis levé de ma chaise et je l’ai suivie. J'ai fait ça sans réfléchir mais l'instant suivant j'étais déjà entrain de regretter. Où est-ce qu'elle m'emmenait ? J'en avais autant envie que de dormir dehors en décembre, mais alors pourquoi ne pas le lui dire ? De quoi avais-je peur ? Et si je lui avais dit non, elle m'aurait pétrifié sur place ? Abandonné sur ma chaise, partie voir ailleurs ? Bah...Qui craint l'ordinaire ? J'aurais dû lui dire, lui opposer jeune fille une verte fin de non recevoir, du genre non merci très peu pour moi, par pitié. Et après ? Elle m'aurait fait grief du manque d’entrain avec lequel j'habillais mes jours ? En ces termes ? Elle aurait eu raison, soit, mais quoi, c'eût été peine perdue, je n'en aurais été que plus morose.
J'imagine que c'est ça mon problème, que tout ce qui est dit à mon sujet est vrai et vérifié, que je suis un triste sire sans plus d'allant qu'une éponge de mer pleurnichant à propos de l'humidité des océans ; un type qui ne sourit que très rarement et qui trouve que les occasions de se réjouir ne fleurissent pas les tombes. La joie de vivre ? Ha Ha! De quoi parle-t-on ? Merci de précisez votre pensée s'il vous plaît, j'ai peur de ne pas comprendre. Mais bien sûr à elle je n'ai rien à expliquer, tout ça n'est abîmé qu'au fond de moi, gravité et inertie confondues.
Elle a pris ma main je me suis levé et je l'ai suivie, avant ça j'avais posé mon verre et maintenant elle rit si fort que je vois rutiler ses trente deux dents en trois D, elle qui n’a pour le moment d’existentiel que les quarante huit kilos de son corps élastique. Elle qui se trémousse devant moi qui renâcle.
Lui dire non. Autant s’atteler à convaincre une ruche, abeilles après abeilles, que le miel colle aux dents.
Elle me hurle quelque chose - du japonais ?- qui dit «Boum Boum Banzaï!» plusieurs fois, j'en compte jusqu'à cinq. Elle ne m'a pas lâché, pas plus que son sourire. Je sens bouger ses doigts fins dans le creux de ma main. Toute la salle remue les épaules et ondule du bassin. C'est pitoyable.
Je hurle avec elle «Boum Boum Banzaï!», cinq fois, avant d'embrasser sa bouche.