On est rentré des courses et quelque chose me disait qu'il ne fallait pas trop que je la ramène. Une sale journée. De la bruine crasseuse depuis le matin. Elle avait glissé sur une merde de chien en arrivant, s'était cognée le tibia sur le caddy en sortant, et j'avais laissé tomber à ses pieds un pack de yaourts natures qui avait explosé en arrosant ses chaussures, ses bas et le bas de sa jupe d'une belle giclée blanchâtre.
- «Laisse !» Avait-elle sifflé entre ses dents quand j'avais sorti un chiffon - propre- du coffre pour la nettoyer.
- «Tu vas faire pire que mieux, je vais le faire, contente-toi s'il te plaît de finir de ranger les courses dans la voiture». Je dois avouer aussi qu'on était le 22 du mois et que j'avais un peu fait exprès d'oublier ma carte bleue à l'appart. Du coup c'est elle qui avait dû régler (122,55 euros).
Donc c'est sûr, comme dit le poète il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour là mais je l'avais connue plus souriante épanouie ravie et plus ruisselante. Depuis quelques temps d'ailleurs, question épanouissement je dois bien avouer que c'était pas Byzance. Elle affichait en permanence une sale humeur, jamais vraiment détendue, comme si elle n'avait plus que des fringues trop petites à se mettre. Ce qui n'était pas le cas vu qu'au moins elle venait de se racheter un petit haut, un jean et tout un stock de dessous (sentant le temps à l'orage j'avais voulu faire une lessive pour l'avancer mais j'avais malencontreusement confondu le bidon d'adoucissant avec celui d'eau de javel). J'ai fini de ranger les courses pendant qu'elle se changeait à la salle de bains. Je me disais que ça serait peut-être une idée d'aller boire un verre au Drugstore, histoire de se changer la tête. J'ai posé le seul yaourt rescapé du crash dans le frigo et suis monté lui en parler. Elle était sortie de la douche et se remaquillait devant le miroir de la salle de bain. Elle avait l'air de sourire en se passant du rouge sur les lèvres. C'était au moins ça. La voir jolie. J'ai posé ma main pour doucement lui caresser la nuque. Elle s'est figée.
- «Est-ce que tu peux arrêter ça s'il te plaît ?»
- «Pardon ma puce ?»
- «Tu le fais exprès n'est-ce pas ? Tu attends que je sois entrain de me maquiller, que j'ai le crayon à yeux posé sur l'œil pour me bousculer, c'est ça ?»
Un instant j'ai pensé qu'elle avait dit le crayon aïeuh mais une intuition fulgurante m'a suggéré de ne pas lui faire répéter.
- «Mais non enfin écoute ma puce je voulais juste te caresser la nuque. Pourquoi voudrais-tu que je te bouscule ?»
- «Parce que tu fais ça sans arrêt. Parce que tu attends toujours que je sois occuper à me maquiller pour venir dans mon dos faire l'abruti à gigoter devant la glace. Et ce que tu appelles me caresser doucement revient à essayer de se maquiller les yeux avec une perceuse. Alors encore une fois, s'il te plaît, fais moi plaisir et arrête de me caresser quand je me maquille. Merci.»
Bon.
Je suis sorti de la salle de bains et suis descendu me chercher une bière que je suis allé boire le nez en l'air sur la terrasse. Je me suis dit qu'il valait mieux laisser passer le grain et j'ai oublié l'idée du Drugstore. Ma puce n'était décidément pas d'humeur. Qui plus est un vendredi soir il y avait des chances pour que l'on tombe sur Patrick et Jeannot. La dernière fois qu'on était sorti ensemble elle avait dû conduire et j'avais vomi dans le panier du chien en rentrant. C'est rien de dire qu'elle n'avait apprécié que très moyennement d'avoir à le doucher à trois heures du matin, le pauvre, lui qui a toujours eu l'eau en horreur. Finalement on passé une soirée calme devant la télé à regarder un match de la NBA. On a peu parlé mais ma puce a eu l'air de se détendre. Je l'ai embrassouillé dans le cou et j'ai même réussi à passer ma main sous son tee-shirt pour lui caresser les seins pendant le match. A minuit nous sommes monté nous coucher et une fois au lit je lui ai demandé si elle voulait qu'on réessaye. Elle a soupiré comme si le chien venait lui annoncer pour la troisième fois qu'il avait échoué au BEPC. Elle a défait ses boucles d'oreilles et m'a dit comme ça.
- «Alors écoutes, d'accord, je veux bien qu'on réessaye encore une fois, mais t'as intérêt à assurer OK ? »
OK. Elle m'avait assené ça comme si on parlait de son dernier ovule. Un instant je me suis demandé si réellement c'était une bonne nouvelle qu'elle accepte qu'on le fasse. Puis elle s'est allongée à mes côtés et les yeux au plafond a ajouté.
- «Allez viens, je croise les doigts.»
J'ai grimpé sur elle en essayant de penser à quelque chose de doux et de sensuel mais pas trop, un peu comme du beurre tiède fondant sur un toast grillé juste comme il faut. Puis elle a éteint la lumière et j'ai donné tout ce que j'avais. Moi aussi j'ai croisé les doigts pour que ça marche. Je n'étais pas expert en psychologie féminine mais je sentais bien que sur ce coup je jouais le renouvellement de mon bail dans son appartement.
J'ai pété le toast. J'avais tellement tout donné que son bassin avait bougé – ce que j'avais pris pour une latte du sommier était en fait le craquement d'un de ses os. Le toubib m'a expliqué en souriant un peu trop que c'était surtout spectaculaire et douloureux les premiers instants – elle avait tellement crié qu'au début je l'avais soupçonnée de simuler, jusqu'à ce qu'elle se mette à hurler comme une alarme - mais que finalement dans une semaine elle serait prête à remettre le couvert. J'ai souri moi aussi à sa blague. Il m'a expliqué aussi que pour le moment elle se reposait et qu'elle ne souhaitait plus me revoir. Jamais.
Je suis repassé à son appart et j'ai remballé toutes mes affaires. J'ai dit au revoir au chien et j'ai appelé Patrick pour lui annoncer que je venais squatter chez lui pour un temps.
Dans le bus j'ai repensé à l'histoire du dernier ovule. Ça m'avait mis quand même une sacrée pression.