A mon signal, amène le dessert!
Accrochée à ma queue, pendue par les mains. Imaginez, cinquante trois kilos qui se balancent accrochés là. A plusieurs reprises je lui avais demandé d'arrêter ça, mais chaque fois elle avait refusé arguant que c'était trop dangereux, que si elle lâchait de cette hauteur elle allait s'écraser au sol. Oh mince! J'avais l'impression que j'allais tout perdre, qu'elle allait tout arracher. J'avais horriblement mal, la douleur irradiait tout autour de mon sexe (même si lui, inflexible boute-en-train, encaissait plutôt bien le coup). Il semblait que les chairs de mon bas ventre ne se remettraient jamais d'un tel exercice. Peut-être allais-je devoir me résoudre à la gifler si je voulais, cinglée, qu'elle me lâche. D'une façon ou d'une autre il fallait que ça cesse.
J'ai fini de me brosser les dents, et après m'être soigneusement rincé la bouche j'ai décidé qu'il était temps maintenant d'aller retrouver Anna et de mettre un terme à notre histoire. Anna, la fille qui attendait dans la chambre au bout du couloir que je vienne la réveiller et lui faire l'amour. Ou l'avion, ou le cheval, c'était selon.
Au rythme où nous baisions Anna et moi il y avait fort à parier qu’un matin ma prostate ne se mette à fondre. Et si par chance tel n'était pas le cas, si je réchappais du processus de fusion, la frénésie de ses assauts ne manquerait pas de m'infliger quoi, un douloureux déplacement des vertèbres lombaires ? Un lumbago carabiné ? Une fracture du pelvis ? Cloué au sol pour les deux ans à venir ? Sans parler du douloureux souvenir d'elle à chaque fois que mon bassin se mettrait en branle. Hors de question.
J’ai revissé méticuleusement le bouchon sur le tube de dentifrice. Quitter quelqu’un demandait beaucoup d'énergie et je n’étais pas courageux. Cela dit quelques mois avaient passé et j'étais à mille lieux aujourd'hui de l'extase fulgurante qui avait accompagné ma rencontre avec Anna. Pour tout dire j'avais peine à me souvenir de l'intensité de l'émotion à laquelle elle faisait souvent référence en évoquant notre rencontre – elle employait le verbe submerger en agitant les bras. J'avais bien sûr l'anecdote en mémoire, elle qui danse à tout rompre dans cette boîte de nuit surchauffée, elle qui m'aperçoit au bar et me sourit. Et moi qui fige sur place, instantanément incapable du moindre mouvement. Je me souviens que peu de temps avant ça quelque chose en moi avait cédé sous le poids d’un désespoir des plus insipide et tenace, et que, songeant à Dan Fante (La tête hors de l’eau), je m'étais dit OK, puisque c’est comme ça, puisque rien n’arrive qui ne se passe, je vais me bourrer la gueule bien fort, une cuite bien tassée, assez d’alcool pour faire enfin sombrer cette conscience qui prenait tant de plaisir à me rappeler sans cesse la nécessité des efforts à consentir pour tenir debout, tout autant que l’instant d’après elle m’assénait leur inutilité. M’abîmer un instant. Je souriais béatement au type dans le miroir - en dessous d’une rangée de verres à shooters - en pensant que d’ici une heure avec un peu de chance et pas mal de vodka je serai un poids mort, effondré au sol et bercé par la rotation de la Terre (ne plus tenter quoi que ce soit pour en ralentir la course, laisser aller). A l’autre bout du bar, deux types d’une quarantaine d’années à l’air furibard proposaient à un gamin d’à peine vingt ans de les écouter attentivement et ne fut-ce la pénombre et les éclairs stroboscopiques j’aurais juré que l’un des deux le maintenait plaqué sur le bar à l’aide d’une clé de bras (bon sang on en est où là ?). Puis j’avais aperçu Anna et délicatement, la partie de moi la plus apte à voler avait abandonné le bar pour venir flotter au dessus de la piste de danse, jusqu'à ce qu'elle ne me saisisse les mains et procède de cette magie qui me vit ce soir là quasi en transe m’agiter furieusement autour d’elle, danser à perdre haleine, sans discontinuer deux heures durant. Ça oui, je m'en souviens. Ce dont je ne me souviens pas, c’est quand et pourquoi j’ai commencé à perdre de l’altitude, quand et pourquoi mon orbite gravitationnelle a commencé à décliner. Un événement particulier a-t-il amorcé ma redescente ? Ou bien ai-je à faire encore une fois à la loi de la gravité qui ramène inexorablement tout ce qui tente de planer vers la terre ferme ?
Au début de notre histoire la débauche d'énergie dont Anna faisait preuve me fascinait – et j’y répondais bon sang, j’y goûtais avec délectation, et plutôt deux fois qu’une, j’en faisais un mode de vie, irréfléchi, à l’action, c’était quand elle voulait, j’étais son homme.
Anna était une fille sportive et par exemple il n'était pas rare qu'une fois dans la chambre, avant de faire l'amour je la regarde s'échauffer. Une série de rotations des hanches, un grand écart facial, quelques dizaines de pompes brèves et rapides avant qu'elle ne revienne au lit légèrement essoufflée, jouant de la tête et des épaules comme un boxeur, étirant ses vertèbres cervicales dans un sinistre craquement. M'expliquer en ôtant sa culotte que je pouvais bien me moquer mais qu’en tout état de cause je devrais plutôt la remercier pour cette délicate attention, l'exercice ayant pour conséquence d'augmenter le rythme de son cœur, celui-ci pompait alors plus de sang et permettait une meilleure irrigation des capillaires de sa muqueuse vaginale, rendant son orgasme plus rapide et plus fort. Soit.
A suivre...(ou pas)