Il fait nuit maintenant. Elle vient de sortir sur la terrasse fumer une cigarette après le repas. Assis à table je suis perdu dans mes pensées ; quelques souvenirs enterrés et deux ou trois promesses périmées. Mon regard vient d’accrocher le paquet entamé qu’elle a laissé sur la table. Un court instant – combien de temps vraiment ? – je perds pied et ma main hésite (bon sang je peux sentir dans ma poitrine le vide que ça comblerait). Puis j’inspire et j'expire profondément. De l'air! Ok Ok, l’envie est passée. Elle referme la porte-fenêtre, le froid de janvier tente une percée. -”Alors lui demande-je, elle était bonne ta cigarette ?" -”Mouais, bof, normal. Ca va toi ? T’as l’air préoccupé ?” -”Bien, très bien oui!” Je reste avec mon large sourire pendant qu'elle disparaît dans la chambre. Je pense à Carver et à Strummer. Après tout chacun sa vie, rien n'est écrit.
On a pris du retard à l'allumage mais là c'est bon, on est dans les temps. On doit faire le ravito de l'ISS, la station spatiale internationale, y z'ont plus kellog's, ça craint. Halala quel voyage! En plus de ça ils ne sont pas au courant mais on leur ramène des slips propres, ça va leur faire une de ces surprises là-haut! (C'est Jim qu'à eu l'idée, moi j'aurais pensé à tout sauf à ça). Bon je vous laiss ça ccommmence aaà tremmbler fort, on arrive enn phase de freinagee et fau t que je remette du gasoil dans le vetilo pour pas que çxa xiiwdrtyop!!...
...En vérité je suis pas dans la navette je suis dans le train. J'aime pas trop ça d'ailleurs. Jim non plus. Il a râlé à la gare quand il a fallu enlever notre casque et notre combinaison pressurisée. Sont vraiment procéduriers à la SNCF, Jim y dit que c'est pas comme ça qu y vont trouver de l'eau sur la lune. Bon allez je vous laisse je vais essayer de piquer un petit roupillon (Jim y dort déjà y ronfle comme un bouledogue, ha ha sacré Jim.)
NDLR : J'avais aussi : "Y a un peu plus je vous le mets quand même" mais l'évidente connotation pornographique de ce genre de propos m'a fait me rabattre sur l'andouille, plus prompte à symboliser le dynamisme du métier de bouche.
Sa main a touché la mienne, à peine effleuré à vrai dire. J’ai commandé deux autres verres de coteaux du layon. Son haleine fruitée continuait de me parler de ses vacances dans le sud du Portugal. Il aurait fallu que je me lève et que je parte maintenant, que je rentre vite chez moi, le feu avait pris à la maison. Mais quoi, je la connaissais par cœur cette baraque, j’aurais tôt fait de trouver ce qu’il fallait pour éteindre ce qui n’était après tout qu’un début d’incendie. Je n’ai donc rien fait, mais pire que ça, j’ai foutu un coup de pied dans un bidon d’essence. J’ai proposé de la raccompagner. Elle a ouvert la porte et je l’ai suivie dans l’escalier. Son appartement était au troisième étage d’un cube de béton au toit plat, la façade noircie de la fumée des bagnoles. La rue qui nous y avait mené depuis le bistrot était en sens unique, étroite et morne, sans lumière, avec des dizaines de bagnoles garées partout sur les trottoirs jonchés d’excréments et de détritus, le genre de rue où les gens venaient le soir en douce faire pisser leur clebs en se réjouissant de ne pas vivre dans un endroit si dégueulasse. C’était très glauque et ça ne donnait envie de rien d’autre que de s’enfuir. La moquette qui recouvrait les murs de la montée d’escaliers avait dû connaître plusieurs générations de voisins et semblait s’y entendre sur la question des champignons. Il y avait aussi cette odeur âcre de pisse de chat qui puait au nez et raclait le fond de la gorge. Puis elle est passée devant moi dans sa jupe rouge et son joli cul a éclairé le taudis d'une couleur d'alcôve. Il était seize heures et dans moins de deux heures Marie et moi avions rendez-vous dans une agence de voyages pour choisir la destination de nos prochaines vacances. Nous en avions un besoin urgent. Les soucis s'étaient accumulés ces six derniers mois et ce ne serait pas un luxe de se retrouver au calme, sans les enfants. Rien qu'elle et moi. Elle s'est retournée et m'a passé la main sur la joue. Je l’avais rencontrée à la sortie d’une réunion assommante animée par un caillou pendant laquelle je n’avais rien capté d’autre que le regard entendu dont elle m’avait gratifié. C’était peu mais au regard de l’ennui ambiant ça m’avait paru suffisant pour l’inviter à boire un verre. Sa bouche est venue s'écraser sur la mienne et j’ai un peu oublié les cafards et la moisissure. Elle portait un parfum très épais et ses seins débordaient de l’échancrure de son pull. Je bandais. Elle a ouvert la porte et s'est dirigée vers le bar. Elle m'a tendu un sky - c'est elle qui disait ça, sky pour whisky, elle devait penser au ciel mais moi je voyais plutôt le plastique de sa jupe. On a vidé nos verres très vite, debout l’un en face de l’autre, puis encore un autre assis sur des tabourets de bar. Je reluquais ses longues jambes jaillir de sa jupe rouge et je pensais à sa chatte. Je lui ai demandé si le quartier était agréable et si elle avait décoré elle même son appartement. Elle s'est mise à rire en cachant sa bouche derrière sa main aux longs doigts fins rehaussés d'ongles carmin. Elle ma dit oui, c'est moi qu'ai tout fait. Elle m'a tendu la main pour me guider vers sa chambre et je l’ai embrassée. J’ai fourré ma langue dans sa bouche et mes mains ont cherché à en savoir plus sur sa poitrine. Elle s'est agenouillée. Je me souviens avoir pensé à la Nouvelle Zélande comme destination possible pour les vacances puis sa bouche s'est refermée sur mon sexe. Toute une partie de mon cerveau a alors fondu et j’ai cessé de penser. J'ai beuglé quand j'ai joui, avant de me laisser tomber sur le côté, je devais ressembler à un singe essoufflé. Elle est restée à quatre pattes un instant, la tête dans l'oreiller et ses fesses rosies tournées vers le ciel, puis elle a roulé sur le dos elle aussi. J'ai ouvert les yeux sur les tâches de son plafond, sur les auréoles marron qui maculaient une peinture jaunie, avec par endroits les reliefs plus sombres d’une croûte de moisissure. Il flottait dans l'air une odeur de pourri mélangée à celles de nos sueurs et de nos secrétions. J’avais envie d’eau. De beaucoup d’eau. D’une très longue douche, d’un bain de glaçons, d’un plongeon dans la mer du haut d’une falaise. Bon sang rien de tout cela n'était arrivé, pas vrai ? Elle s'est collée à moi et s'est mise à me lécher la main. Sa langue était tiède et m'étalait sa salive sur le dos de la main. J'ai dit arrête s'il te plaît j'ai horreur de ça et je me suis levé d'un bond, comme effrayé nu par une grosse araignée posée sur des draps blancs. Faut que je rentre je vais être en retard j'ai un rendez vous important. Je l'ai laissée dans la chambre et je suis parti me rhabiller. Elle a crié quelque chose d’inarticulé du fond de la chambre que je n’ai pas compris. J'ai dévalé les escaliers quatre à quatre pour finir par sauter la dernière volée de marches. J’ai atterri dans le hall, prêt à bondir au dehors mais coincé devant la sortie par un gros type occupé à torcher le cul de son chien. Dans mon élan j’ai failli le pousser, le balancer pour qu’il dégage. Il s’est redressé lentement quand il m’a entendu, puis s’est écarté à petits pas pour me laisser passer, la bouche entrouverte sur de minuscules dents noircies, son morceau de papier maculé à la main. Excusez-moi j’ai dit et je suis passé sans respirer entre son sourire gras et le mur sale. J'ai encore retenu ma respiration le temps de rejoindre le boulevard. Je marchais si vite qu’il m’était difficile de ne pas courir. Je me sentais sale, j’étais poisseux, fragile, chaque regard m’inquiétait et je détournais la tête, à la merci d’une rencontre qui m’aurait reconnu et à qui j’aurais eu à expliquer le pourquoi de ma présence ici. Il était un peu plus de dix sept heures et moi qui vénère l’été j’ai béni le sombre déclin des soirs de novembre, tout autant que la foule indifférente qui me couvrait maintenant de son uniforme. J’ai alors repris mon chemin pour retrouver ma voiture et me rendre au rendez-vous, oublier ça et partir très loin en vacances. Je réussissais maintenant à marcher lentement et mon cœur commençait enfin à se calmer. Jusqu’à ce que je reconnaisse Marie qui venait à ma rencontre, sa main agitée m’invitant à la rejoindre. A ses côtés pleurait cette fille que je venais de laisser dans la chambre de son appartement et que Marie tenait par les cheveux. J’étais horrifié et à mesure que j’avançais vers elles je reconnaissais le visage d’autres filles, toutes gémissantes et atrocement mutilées. Je me suis réveillé le corps noyé de sueur. Je suis descendu à la cuisine me faire un café. J’ai jeté un coup d’œil machinal à mon portable, j’avais deux messages. Marie avait emmené les enfants chez ses parents, j’étais seul à la maison. A vrai dire tout était si calme que le silence m’en donnait une sorte de vertige, une sensation de vide comme si autour de moi l’air devenu moins dense rendait mon existence moins concrète. Le manque d’habitude certainement, après tous ces matins bruyants et agités. Je me suis versé un grand bol de café que j’ai bu debout en observant le jardin décrépi au travers de la fenêtre. Les chardons avaient envahi la pelouse devenue haute et le liseron courait partout, étouffant les fleurs et les arbustes de longues lianes inextricables. Le mieux serait peut-être de tout raser. Je me suis resservi un peu de café et j’ai allumé une cigarette. J’ai tiré une longue taffe et j’ai repensé à tout ça, à la banalité des catastrophes ordinaires, à ce bref instant où j’ai fermé les yeux, à ma duplicité autant qu’à la misérable arrogance dont j’avais fait preuve. J’ai pris mon portable pour lire mes messages. Le premier venait de Marie, violent, grossier, incendiaire, qui ne pardonnerait jamais à ce connard que j’étais, et le second de Karen, qui se demandait quand je pensais lui ramener son petit bracelet de cheville.