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10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 17:00

J'ai enfilé un jean et une chemise et je suis sorti de la salle de bains en refermant la porte un peu vivement, causant une dépression qui souleva la photo de Françoise Sagan encadrée là. En 1957, victime d’un  grave accident de voiture, elle fut soulagée de ses terribles douleurs grâce au « 875 »,  un puissant opiacé dont elle deviendra dépendante et qui lui vaudra un séjour de désintoxication en clinique. Dans « Toxique », le journal qu’elle tint alors, elle écrit :
« Je crois que je ne suis plus amoureuse de personne.…Je sais ce qu’il me reste à faire ; je vais m’éprendre de moi, me soigner, me bronzer, me refaire les muscles un par un, m’habiller, me ménager infiniment…M’aimer...» Puis elle quitte la clinique et conclut son journal d’un simple au revoir - Je me dis au revoir – avant d’ajouter, après le mot de la fin, une note sur la mort comme remède à la peur qui l’épuise maintenant depuis plusieurs mois, depuis ce terrible accident de voiture. Peut-être après ça quelque chose était-il séché dans son cœur (la matière amoureuse doit être organique et onctueuse), peut-être n’a-t-elle jamais plus revu celle qu’elle aimait être. Anna s'était étonnée de la petite fortune que cette photo en noir et blanc m'avait coûtée, étonnée d'autant plus qu'elle m'avait à plusieurs reprises proposé de redécorer mon appartement de splendides clichés de la nature sauvage, rafraîchissants à souhait ils auraient égaillé ce long corridor sombre, et pour bien moins d’argent.
J'aurais dû rompre la semaine dernière déjà quand elle m'avait imposé cette soirée chez ses amis. Elle me l'avait vendu pour «à peine le temps de s’asseoir prendre un verre» et nous nous étions retrouvés coincés à table pour un repas marathon. J'avais dû le pressentir car dans la voiture j'affichais déjà mon humeur des soirées obligées.
-«Tu vas voir m'avait-elle annoncé emballée, c'est un type super, il peut paraître bourru à la première impression mais c'est un ange. Qui plus est il rentre tout juste de faire le tour du Mont-blanc, il doit avoir des tas de choses à raconter.»
-«Il a juste fait le tour du Mont-blanc ?»
-«Juste le tour comme tu dis, c'est énorme non ?» Anna souriait avec ravissement.
-«Énorme oui. Il n'avait pas de carte de la région ?»
-«Heu...Si mais c'est quoi ta question en fait ?»
-«Ma question c'est comment un type apparemment aussi aguerri qu'équipé peut faire pour se retrouver sur le Mont-blanc, en faire le tour et ne pas trouver le sommet.»
Plutôt que de me mordre, Anna siffla entre ses dents.
-«Je te déconseille ce genre d'attitude imbécile devant mes amis. Garde ton aigreur pour ton estomac s'il te plaît.»
A peine étions nous arrivés qu'Anna m'avait planté dans la salle à manger avec Madame S. pour suivre Monsieur S. qui s'était immédiatement proposé de lui faire découvrir sa nouvelle installation d'appareils de musculation au grenier.
-«Vous faites du sport vous aussi ?» m'avait demandé timidement Madame S., rompant là le silence avant que son épaisseur n'attire les pingouins et les phoques.
-«Pas tant que ça. Et vous ?» Je n'avais mis aucune autre conviction dans ma réponse que celle de la politesse convenue, la mollesse de son port de tête n'évoquant manifestement aucune autre activité physique que la pendaison.
-«Oh oui beaucoup, j'adore ça.»
Aïe.
-«En fait je me suis mise à courir il y a deux ans. J'avais perdu mon boulot j'avais beaucoup grossi. Thomas ne m'en disait rien mais je sentais bien que son désir en pâtissait. Nous continuions à faire l'amour mais il était moins ardent et sans trop vouloir en dire, je me sentais de mon côté moins comblée que ce que j'avais pu être au début de notre relation.»
Seigneur.
-« Au début voyez-vous je m'efforçais de courir une fois par semaine et encore c'est à peine si je parvenais à alterner cinq minutes de course pour cinq minutes de marche. Et puis à force de patience, je suis parvenue à courir une demi heure d'une seule traite, et ça peut vous sembler ridicule mais pour moi c'était comme d'avoir réussi à escalader le Saint Graal vous voyez ce que je veux dire ?»
-«Tout à filtre.»
-«Et de fil en aiguille je me suis mise à courir trois fois par semaine, puis à nager régulièrement et récemment je me suis acheté un vélo et l'année prochaine, j'ai l'intention de m'inscrire à l'Iron Man de Melun! En plus de ça j'ai perdu neuf kilos, ça se voit non ?» Elle se lève et tourne sur elle même, esquissant un gracile mouvement de bras.
-« C'est vrai, vous êtes superbe Michèle!»
La soirée s'est poursuivie comme ça très tard. Au début j’ai pensé être drôle, exécrable mais drôle, Oscar Wilde Groucho Marx et Joe Strummer, trouble fête irrésistible. Soutenir le regard d’Anna en lui caressant la main et d’une estocade fulgurante pousser le grand moustachu et sa moitié dans le vide abyssal de leur conversation. Et puis après quelques rhums bien tassés – je reconnais qu’il m’a eu, il reniflait fort et souvent en se mouchant d’un revers de la main mais il m’a eu - j’ai descendu toute une bouteille de Gigondas, puis après le repas, affalé dans leur sofa encore cinq ou six doubles cognacs. Le brouillard autour de moi s’est peu à peu épaissi et à mesure que la soirée s’étirait, doucement, je les entendais moins pérorer, ils avaient dû s’éloigner ou se mettre à chuchoter. A moins qu’ils ne me regardent dormir ? Anna m’a secoué en s’excusant dix fois de mon manque de tenue auprès de ses amis (hilares) et nous sommes rentrés. Sur le chemin de retour j'ai tenté de jurer que moi vivant jamais plus on ne me reprendrait à frayer avec des gens aussi assommants, qui n’hésitent pas à vous asséner leurs performances sportives (sexuelles ?) quatre durant aussi naturellement qu'ils s'étonnent de votre inaptitude à courir (baiser ?) cinq heures d'affilée. Mais il était bien tard. Le fait est que j’avais manqué d’énergie et de personnalité. J'aurais dû me lever et partir ce soir là, laisser Anna à ses amis si prévenants, l'occasion était trop belle de refuser de m'enliser une nouvelle fois des heures durant dans des conversations microscopiques (qui se soucie des lacets élastiques plus de trois phrases ?). J'avais déjà clarifié la situation trois ou quatre fois sur ce que j'étais prêt à avaler ou pas, mais Anna continuait à sourire comme si de rien n'était, comme si perdre son temps faisait partie des maux nécessaires d'une vie sociale réussie. Les yeux au ciel, elle me considérait. Comme si le temps ne faisait rien à l’affaire, comme si je n’avais toujours rien compris. Mon pauvre ami.
C'est un grand moment d’intimité celui où l'on comprend que l'on s’est abusé soi même. Où l’on admet enfin après des mois de persévérance qu’on a pris son désir pour la réalité, un sillon pour une vallée, comme persuadé qu’une pulsion récurrente pouvait faire office de mode de vie. Après tout et faute de mieux. Ce maudit moment où fatigué on a baissé les yeux, détourné le regard alors que c’était précisément là qu’il s’agissait de faire preuve de discernement. Là qu’il s’agissait de reste lucide pour ne pas se perdre de vue. C’est bien dans cette vie, dans ce maudit virage serré qu’il s’agissait justement de tenir la route, de ne pas déraper, de ne pas hésiter sous peine de finir ridicule et impuissant dans un fossé vaseux, les quatre fers en l’air.

 

A suivre...(ou pas)


Le début était là

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commentaires

C
<br /> <br /> A un moment donné de ma vie -il n'y a pas si longtemps, une certaine phrase de Sagan que vous citez m'a beaucoup aidé...<br /> <br /> <br /> sinon, la toute dernière partie de votre texte est proprement vertigineuse... (et ce qui la précède n'en est pas moins raide, bien entendu!)<br /> <br /> <br /> NDLR: Tout à fesse!<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Cette phrase là, bien sûr...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> oui. A suivre. Sans hésiter.<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Je crois savoir qu'il y a longtemps, longtemps, on établissait des contrats de mariage très très précis avec les trucs et obligations qu'on demandait ou qu'on acceptait de faire.. c'est marrant<br /> comme ton texte m'y fait penser. J'aimerais bien qu'un couple ça soit aussi simple qu'une longue liste de choses claires sur lesquelles on se serait mis d'accord... grulmpffff....<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> grulmpfff grulmpfff voire...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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